Qui délivre les passeports en France ?

Depuis avril 2020, j’ai consacré une grande partie de mon temps de recherche à l’étude des observateurs optiques itinérants des XVIIIe et XIXe siècles. Basé sur un corpus iconographique et littéraire dense mais très stéréotypé, j’essaie de confronter ces représentations à des sources d’archives documentant la réalité de ces hommes (et de ces femmes !). Pour ce faire, je mobilise les archives policières, et surtout pour le XIXe siècle, la série de passeports à l’intérieur, une source fabuleuse et abondante pour l’histoire du voyage et des voyages. Ce sont ces passeports de l’intérieur qui seront discutés dans les prochains billets1 : pour ce premier article, j’essaie d’établir un contexte basé sur la bibliographie2 et mes propres observations dans les archives3.

Exemple de passeport, dont la forme est fixée sous l’Empire. Il fut délivré à Limoges en 1807 pour l’artiste dramatique et lyrique Jean Baptiste Demondion Durozier. Il le permettait de se rendre à Bourges, mais l’individu continua à Amiens, où il avait probablement son passeport renouvelé. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2I 6/11. Voyager « à l’intérieur » ? Lorsque vous avez besoin d’un passeport pour aller à 30 km de la maison

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Jusqu’en 1860 environ, il fallait que quiconque désirait déménager un peu loin de son domicile porte un passeport lui permettant de traverser la frontière de son département. Ce passeport est appelé « à l’intérieur » par opposition à « passeport à l’étranger », ce qui permet de voyager en dehors du territoire national. Sous l’ancien régime, de tels documents existaient déjà4 : tout voyage nécessitait un « laissez-passer », un « laissez-passer » ou un « sauf-conduit » sans lequel le marée pouvait considérer le voyageur comme un vagabond ou un mendiant, soupçon qui l’a immédiatement envoyé en prison. Ces « passeports » ont été obtenus auprès de diverses autorités : curé, juge local, autorité municipale, évêque, parlement, secrétaire aux affaires étrangères, etc.

La Révolution a d’abord aboli l’utilisation des passeports, qui étaient considérés comme contraires au principe de la liberté de le citoyen. Rapidement, cependant, l’obligation du passeport fut rétablie : il dura moins de six mois (octobre 1791-mars 1792).

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Exemple de passeport rédigé sur papier libre, comme c’est souvent le cas pendant la période révolutionnaire. Produit par le maire de Maiguelay (Oise), il autorise Pierre Jean Beauvais, « joueur de divers instruments », né à Mayenne, à se rendre à Clermont, Compiègne et autres villes de la République. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2 I 6/2. Le passeport révolutionnaire prend diverses formes selon les départements : chaque administration fabrique ses propres modèles, avec le papier et la typographie de son choix. Certaines villes délivrent même des passeports sur papier libre, ce qui rend le contrôle difficile et favorise le mouvement de la falsification, à un moment où la surveillance des mouvements de population est renforcée : il y a peur de la fuite des nobles et du clergé ainsi que de l’infiltration d’étrangers.

Bel exemple de passeport avant le standardisation des modèles : celui-ci a été délivré à Joseph Chillou, artiste dramatique, à Angers, le 8 thermidor année treize. Archives municipales de Reims, 2 I 32

Formulaire de passeport vierge, trouvé dans un registre d’enregistrement d’émission à Amiens. Ce type de document disparut au tout début du XIXe siècle, lorsque l’Empire uniformisait la présentation des passeports sur tout le territoire. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2I4/5. Dans les premières années de l’Empire, la mise en place de passeports inviolables et la surveillance efficace et centralisée sont devenues une priorité pour la police. La procédure est rationalisée et normalisée sur l’ensemble du territoire : un modèle unique de passeport est mis en place. Sa fabrication, sur papier estampillé et filigrané, et sa distribution sont contrôlées par le Ministère de la police générale de Paris. L’appareil ne varie presque pas pendant un demi-siècle.

Le passeport est donc obligatoire pour toute personne âgée de plus de 15 ans qui souhaite quitter leur département : il est délivré par les maires pour une destination spécifique (inscrit dans le passeport) 5 et sur la justification du voyage (pour le travail, pour les affaires, pour rejoindre les parents). Les autorités peuvent refuser de délivrer un passeport à certaines destinations (notamment Paris en période de difficulté ou si le demandeur est considéré comme suspect). Equipé de son sésame, le voyageur doit l’avoir ciblé à chaque étape de son mouvement : le dos est couvert de dates, d’annotations manuscrites et de timbres.

Passeport d’Anne Roblin, épouse de Jean Fromont, artiste, délivré à Chalon-sur-Saône en 1806, avant la normalisation des estampes. Le passeport contient plusieurs douzaines de visas. Il arrive que le propriétaire colle des draps supplémentaires lorsque le dos ne suffit plus. Archives municipales de Reims, 2 I 36.

Le passeport à l’intérieur n’est valide que pour un an, il est donc nécessaire de le renouveler périodiquement. Il ne permet pas d’aller à l’étranger : pour cela il est nécessaire de porter un passeport « à l’étranger », plus cher que le passeport « à l’intérieur » (2 francs pour les nationaux contre 10 francs pour les étrangers en 1816), délivré exclusivement par les préfectures et les commissaires attachés à la police générale du territoire. Les étrangers entrant sur le territoire français sont également tenus de porter un passeport à l’intérieur : pour ce faire, ils doivent remettre le passeport de leur pays d’origine à la première ville française où ils s’arrêtent. Ils reçoivent un passeport à l’intérieur en échange, tandis que leur passeport étranger est envoyé au ministère à Paris. Car c’est toute la question des passeports : attester de l’identité des individus, mais surtout, surveiller leurs moindres mouvements. Chaque semaine, un nombre phénoménal de rapports remontent des mairies aux bureaux du Ministère de la police, par le biais des sous-préfectures et des préfectures : individus suspects, condamnés libérés de prison, étrangers, rien ne semble échapper à l’administration.

Le système de passeport à l’intérieur prouvera son efficacité. Cependant, au milieu du XIXe siècle, il est tombé progressivement en désuet. Il s’avère de plus en plus inadapté à la société. Il y a un nombre croissant de mouvements, notamment en raison du développement du chemin de fer. L’administration atteint ses propres limites pour traiter la masse des demandes. Les formalités lourdes, lentes et passeports semblent de plus en plus insupportables pour les voyageurs qui vont maintenant plus vite que le papier : avoir à attendre plusieurs jours un contrôle de passeport est de moins en moins toléré. Dans une société en pleine révolution industrielle, toutes ces étapes affectent le bon fonctionnement de l’économie et du commerce. Passeport à l’intérieur est finalement abandonné au cours de la décennie 1860.

La petite usine du passeport (et sa conservation)

Lorsqu’un individu souhaite effectuer un voyage, il se présente à la mairie de sa municipalité de résidence, accompagné de deux témoins, qui garantissent son identité, mais aussi sa moralité. Un passeport lui est délivré pour une destination spécifique, qu’il déclare. Vous devez également déclarer la raison du voyage : est-ce pour les affaires (lorsque vous êtes commerçant par exemple) ? pour rejoindre un parent ? à colporter ? pour chercher du travail saisonnier (scierie longue, maçon…) ? Tous les éléments justificatifs sont spécifiés dans les documents produits. Lorsque vous voyagez avec la famille, un seul passeport est fréquemment délivré : il enregistre la femme et les enfants potentiels, mais ces derniers sont le plus souvent anonymes (« sa femme et ses 3 enfants », sans prénom. Au mieux, nous trouvons l’âge et le sexe desdits enfants). Les passeports des femmes sont donc relativement rares dans les archives : ils ne concernent que les femmes voyageant seules (travailleuses célibataires, actrices de spectacles, « filles publiques », pénitenciers rejoindre un parent).

Passeport de Victoire Descamps, fille célibataire et publique. La bibliothèque municipale d’Amiens conserve deux autres passeports la concernant, où elle apparaît comme couturière ou ex-couturière et non comme une fille publique. L’insistance de l’agente sur son physique (front régulier, bien fait, bien proportionné, mentionne qu’elle ne figure pas dans d’autres passeports) suggère que cette dernière a volontairement insisté fortement sur la condition de la jeune femme. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2I 6/11. Que se passe-t-il lorsqu’une personne doit obtenir un passeport dans une municipalité qui n’est pas celle de son domicile, comme c’est souvent le cas pour ceux qui pratiquent une profession de marche ? Il ne connaît peut-être pas deux personnes pour témoigner de son identité et de sa bonne moralité. Il présente alors simplement son passeport précédent, qu’il souhaite renouveler et qui sera conservé en échange du nouveau passeport. Il parvient parfois à trouver deux accompagnateurs dans les gens de son propriétaire, le soignant, un policier, etc.

La délivrance du passeport donne lieu à la production de deux documents. L’agent informe un Registre de délivrance des passeports Inscription du passeport délivré à Bois, douche de lanterne magique. Il vit à Rouen depuis 3 mois et veut se rendre à Bruxelles. L’un de ses deux témoins, Jean-Baptiste Delahaye est probablement son propriétaire : cet individu a vu plusieurs musiciens itinérants, douches optiques et autres personnes de divertissement en 1806/1807. 59 rue de la Chèvre, à Rouen, abritait évidemment un garni. Archives départementales de Seine Maritime, fonds municipal de Rouen, 3E1 REV I 7 C 40. , où il enregistre les informations relatives à l’état civil (nom, prénom, lieu de naissance, âge, profession, domicile) et la description physique de la personne, ainsi que la raison du voyage et de la destination. Il indique également si la preuve a été présentée par le demandeur (ancien passeport, lettre d’appui) ou, à certains moments, les noms et les adresses des témoins qui ont témoigné de son identité.

Il établit alors le passeport lui-même , sur une grande feuille de papier préimprimé et filigrané, sur laquelle les mêmes informations que celles figurant dans le registre d’émission doivent être déclarées. Rigoureusement, l’agent doit indiquer manuellement le numéro du passeport et du registre d’enregistrement, mais tous ne sont pas gênés par cette formalité. La feuille de passeport est coupée en deux : souche reste à l’hôtel de ville, tandis que le demandeur part avec le reste du document. La coupe, qui a lieu sur l’arabesque gravée, ne doit jamais être linéaire, mais ondulée : si nécessaire, les deux pièces sont réunies pour s’assurer qu’elles s’accordent et excluent l’hypothèse d’un faux document.

Registre des souches de passeport. Ici, la souche du passeport de Hyacinthe Donadieu, montre optique, obtenu à Montauban en décembre 1815. La jacinthe a un visage marqué par la variole. Pour obtenir ce passeport, il a présenté un autre passeport, qui atteindrait sa date d’expiration. Deux témoins sont présents : une perruque et l’employé subventionnaire. Donadieu avec profession Dans la rue, la mairie a le passeport soumis au préfet pour approbation. Archives municipales de Montauban, 2 I 5.

Registres d’émission et cahiers souches ont été conservés de façon inégale selon les villes : lorsqu’elles existent encore, elles se trouvent dans les archives municipales, à moins qu’elles n’aient été placées dans les archives départementales. Ainsi, à Nantes, nous trouverons les registres des livraisons de 1789 à 1810 (3I 50 à 3I 78). À Elbeuf, ils ne sont pas conservés ; d’autre part, les Archives de la Fabrique des Savoirs conservent une très belle série de souches de passeport : près de 10 000 pièces, datées de 1816 à 1860 (2 J ELB 5 à 23), comme les Archives municipales de Saint-Brieuc (numérisées, d’ailleurs). Pour Rouen, quarante et un documents d’émission de 1794 à 1809 ont été déposés aux Archives départementales de Seine-Maritime (3 E 1/REV/série I). Il est nécessaire de se renseigner dans chaque service pour connaître l’état des fonds.

Dans certains cas, les pièces justificatives présentées par le demandeur pourraient être conservées : attestation, lettres et surtout, passeports expirés Souches non liées, conservées dans la collection des archives municipales d’Elbeuf. La découpe a été réalisée sur l’arabesque gravée, avec ondulation, comme le veut la préaunisation. Elbeuf, Usine de Connaissances, 2 J ELB 7. . C’est un cas relativement rare, mais très heureux pour la recherche. Ainsi, à Elbeuf, les passeports périmés sont épinglés sur les souches. Pour Amiens, la Bibliothèque municipale conserve une série fabuleuse de plus de 6000 passeports obsolètes, classés en 38 boîtes, classés par ordre alphabétique par les particuliers (2I6/1 à 38).

Passeport d’Antoine Bassi et de sa femme. Bassi, d’origine italienne, voyage en France pour faire danser les petits chiens (il montre un certain nombre de chiens savants). Ce passeport fut délivré à Rennes en février 1821 et renouvelé l’année suivante à Elbeuf. Il a été épinglé, comme preuve, à la souche du nouveau passeport. En 1820, Bassi circulait en France avec un passeport obtenu en Gironde. Le passeport nous donne un détail de son physique : il a une taille sur le dessus de sa tête. Elbeuf, Usine du savoir, 2 J ELB 8. Avec son passeport, le voyageur peut donc entreprendre (ou continuer) son voyage. À chaque étape, il est obligé de faire adresser son passeport aux autorités municipales. Pour ce faire, il se présente à la mairie (ou au poste de police) : la date, le lieu et la gestion déclarés par le titulaire sont inscrits au dos du passeport, avec le cachet de la ville, quand il l’a, et accompagné d’une signature (souvent celle du maire dans les petites villes). Un durée autorisée de séjour est parfois indiquée (dans le cas des professionnels du divertissement en particulier).

Le passage de « l’étranger » est enregistré dans un registre dédié, registre des visas Le dos du passeport de Bassi : chaque annotation correspond à une étape de son voyage. En déchiffrant chaque visa, il est possible de reconstituer son itinéraire. Les passeports très fréquentés sont relativement rares : seules certaines professions de la marche mènent à de tels longs trajets. Elbeuf, Usine du savoir, 2 J ELB 8. . Sa forme varie selon les lieux et les périodes : cahier simple, document pré-imprimé, table… Les informations recueillies sont aussi hétérogènes : nom et prénom, toujours ; âge et profession, souvent. Il contient parfois le lieu et la date de délivrance du passeport présenté, y compris son numéro, la destination déclarée ou la date et le lieu du dernier visa.

Registre des visas enregistrés à Grenoble entre août 1806 et avril 1808. J’ai transcrit le 4e enregistrement, daté du 21 mars 1807 : « Lambert. Considérant que de Joseph Lambert né porteur d’orgue de Bregès Basses Alpes à lui livré à l’Arche le 16 octobre 1806 mentionné pour Barcellonete et ». Joseph Lambert est probablement un orgue barbariste. Archives municipales de Grenoble, 2I 215.

Registre d’enregistrement des visas de passeport entre le 21 mars 1821 et le 28 avril 1827. Ici, le registre prend la forme d’un tableau indiquant la date du visa, la date, le numéro et le lieu de délivrance du passeport présenté, l’occupation et le lieu de résidence de l’individu et la destination déclarée pour l’obtention de son passeport et au moment du visa. Archives municipales Alençon, 65 I 6.

Registre des visas vers 1807 pour la ville d’Amiens. Les quatre visas de cette demi-page sont destinés aux musiciens itinérants : les trois premiers sont probablement apparus ensemble. Tous trois sont en possession d’un passeport délivré en janvier 1807 à Dunkerque et déclaré aller à Arras. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2 I 4/6.

Registre des visas pré-imprimés. Ici, de nombreux détails sont enregistrés, y compris la description physique de la personne, le lieu et le numéro de son passeport, la destination déclarée au moment de la délivrance du passeport et la destination déclarée au moment du visa. Archives municipales d’Agen, 2 I 27. Tout comme les registres d’émission et les livres de tiges, les registres des visas sont inégalement conservés. Ils peuvent être trouvés à Lyon (microfilmés et disponibles sur le site des Archives), Grenoble ou Agen et Dijon. Ils sont souvent fastidieux à dépouiller, sauf lorsqu’une main rigoureuse s’est attaqué à la tâche fastidieuse d’un index de noms.

Ne nous trompons pas : l’objectif de cette masse de papier est de contrôler, finement, la circulation des individus. Les passeports, les visas, les registres sont des outils de surveillance. Lorsqu’il délivre ou vise un passeport d’une personne potentiellement suspecte (profession itinérante, étrangère à la nation, personne se rendant dans un lieu autre que la destination figurant sur son passeport), le maire renvoie les informations au sous-préfet, qui en informe immédiatement le préfet. En témoignent les registres hebdomadaires conservés dans certaines préfectures, ainsi que les dossiers personnels concernant certaines personnes. Cependant, j’ai rarement croisé de tels documents, sinon aux Archives de la Somme, très riches en cette matière.

Exemple de paquets conservés dans les archives de la préfecture : les sous-préfets présentent des tableaux hebdomadaires avec passeports délivrés ou mentionnés. Ici, un état indicatif des passeports délivrés entre le 19 et le 25 avril dans l’arrondissement de Doullens, et l’état indicatif des passeports mentionnés pour une destination autre que celle fixée sur le passeport, aux mêmes dates, dans l’arrondissement de Mondidier. Commentaires sur la conduite de la morale et de la politique des individus : Epiphan Guilbert, 22 ans, vient d’être libéré de prison. Il est soumis au contrôle de la police mais a été autorisé par le Ministre de l’intérieur à se rendre à Dieppe. Archives départementales de la Somme, 4 M 1856.

Autres types de passeports

Nous avons vu le cas des passeports à l’intérieur, mais il existe d’autres types de passeports : les passeports des pauvres et les passeports à l’étranger, qui ont déjà été mentionnés. Le anciens sont à la destination, comme leur nom l’indique, pour les personnes indigentes, qui sont incapables de payer la taxe pour la délivrance du passeport (puisque le papier estampillé doit être payé).

Passeport d’indigent, avec assistance routière, délivré à Geneviève Badin, fille publique, pour voyager de Troyes à sa commune natale, Marizy-Sainte-Geneviève, dans l’Aisne. Le passeport est conservé à Amiens, ce qui suggère qu’elle n’a pas vraiment suivi sa feuille de route. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2I6/1. Le maire peut alors leur délivrer un passeport gratuit, ce qui présente certaines contraintes pour le porteur. En général, il est accompagné d’une « feuille de route » établissant un itinéraire obligatoire pour l’individu, dont il ne peut pas partir, sous peine de traiter avec la police. Il est également accompagné de « sauvetage routier » : afin d’éviter de mendier pendant le voyage, le porteur est délivré, sur chaque visa, une aide pour se nourrir. De toute évidence, cette aide ne peut être reçue que si l’on suit l’itinéraire indiqué. Les passeports des nécessiteux sont principalement utilisés pour retourner dans leur commune de résidence ou de naissance de personnes nécessiteuses : un travailleur qui a perdu son emploi et souhaitant retourner dans sa famille, un ou plusieurs libérés de prison, etc.

Un passeport gratuit qui me déplace beaucoup, parce que son propriétaire lui a cousu une couverture de toile pour le protéger. Je l’ai croisé dans un dossier nominatif de contrôle des professions itinérantes (ici chanteur de rue, en 1862). Archives départementales de la Somme, 4 M 536.

Souvent, dans les archives municipales, il y a des citations spécifiquement dédiées aux passeports des pauvres, mais, ayant peu visité leur visite, il serait difficile pour moi de vous en donner un aperçu. Les passeports des nécessiteux expirés, d’autre part, sont parfois mélangés avec d’autres passeports obsolètes (j’ai croisé certains dans les fonds Amienese).

Les militaires, eux aussi, ont souvent une feuille de route au lieu de la place du passeport, ce qui sert à prévenir la tentation d’errer et de désertions. Encore une fois, je n’ai pas abordé spécifiquement ce type de document, mais j’ai croisé certains d’entre eux dans les paquets de passeports obsolètes.

Enfin, un mot sur les passeports pour l’étranger, qui permettent de franchir les frontières nationales, et qui sont délivrés par la préfecture. En fait, j’ai peu rencontré mes dossiers municipaux et il me semble qu’ils sont plus fréquents dans les archives départementales et, bien sûr, dans les archives nationales.

Exemple de passeport étranger délivré en 1851 à Georges-Charles Bouton, peintre qui se rend à Londres avec sa femme et deux enfants âgés de 3 et 4 ans. Le format des passeports à l’étranger est plus grand que celui des passeports à l’intérieur, d’où ma difficulté à le photographier correctement. Bibliothèque municipale d’Amiens, 2I 6/5. Comment trouver des passeports dans les archives ?

Les passeports n’ont pas toujours été conservés : certaines villes ont des ensembles très complets, tandis que d’autres n’ont que quelques miettes ou rien du tout. Dans les archives municipales, les archives de la police devraient être fouillées sous la rubrique « Police générale » (2I), qui suit généralement la « police locale ». La typologie des documents n’est pas toujours indiquée précisément dans les instruments de recherche : les souches, les registres de délivrance et les registres des visas peuvent avoir été confondus sous les termes des « registres des passeports ». Une autre subtilité : sous le nom de « passeports des étrangers concernés » nous pouvons trouver, en réalité, passeports à l’intérieur, le terme étranger désignant alors toute personne étrangère à la ville ou au département ! Si l’on cherche des passeports périmés, n’hésitez pas à supprimer les cases « correspondance » et « dossier de nom » qui conservent parfois les pièces justificatives.

Fonds du passeport, toujours une surprise ! Voici un de mes des séances de dépouillement à la Bibliothèque municipale d’Amiens, qui conserve les archives de la ville avant 1919. Quelques archives municipales ont été déposées dans les archives départementales : on y trouve des passeports (ceux délivrés à Rouen sous l’Empire sont dans les Archives départementales de la Seine Maritime et il en va de même pour Niort dans les Deux-Sèvres). Dans les archives départementales, les documents relatifs aux passeports de l’intérieur se trouvent également dans les fonds préfectoraux, dans 4M (police administrative) : instructions, circulaires, correspondance, état statistique des passeports délivrés (sans renseignements personnels), déclaration des individus au préfet, nominatif dossiers. Ce sont, à ma connaissance, des séries plus difficiles à dépouiller, parce qu’en faisceaux (voir mes photos de l’AD de la Somme).

Box 4 M 1376 aux Archives de la Somme : chaque lot correspond à une semaine d’élévations des sous-préfectures vers la préfecture. Les tableaux ne sont pas uniformes, indiquez seulement quelques les gens. Le comptage est, plutôt logiquement, plus fastidieux que pour les registres pré-imprimés. Enfin, les Archives nationales conservent un important fonds de passeport à l’intérieur, mais qui a subi plusieurs éliminations massives. Son classement est assez complexe, mais dispose de plusieurs instruments de recherche permettant des requêtes nominatives.

Il n’est pas toujours facile de chercher à l’intérieur des fonds des passeports, surtout quand on cherche un type particulier de personne, ou pire, une personne en particulier ! -, mais nous en parlerons dans le prochain post… Il parlera de l’utilisation que l’historien peut faire des passeports à l’intérieur et des passeports comme source de généalogie.

  1. Je remercie Akhésa, Matthieu et Camille pour leur correction patiente, ainsi que les archivistes qui ont numérisé certaines images illustrant ce post
  2. BECCHIA Alain, « Voyage et voyage au début du XIXe siècle. Études de l’interne passeports conservés à Elbeuf », Annales de Normandie, vol. 41, no 3, 1991, p. 179-215, en ligne ; DENIS Vincent, « Le contrôle de la mobilité par les passeports sous l’empire », dans BLANC-CHALÉARD, Marie-Claude (éd.), Police et migrants : France 1667-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 75-8939, en ligne ; NOIRIEL Gérard, « Surveiller les voyages ou identifier les gens ? Contribution à l’histoire du passeport en France de la première à la troisième République », Genèse. Sciences sociales et histoire, vol. 30, no 1, 1998, p. 77-100, en ligne.
  3. Pendant la période de déconfinement, j’ai assisté à une douzaine de services d’archives pour dépouiller des paquets et des dossiers de passeports. Je tiens ici à exprimer ma gratitude à tous les départements qui ont été disposés à répondre à mes questions, à effectuer des recherches à distance et à m’envoyer des numérisations pendant cette période, malgré des conditions de travail parfois complexes.
  4. Nordman Daniel, « Sauf-conduits et passeports », dans Lucien Bély (éd.), Dictionnaire de l’Ancien Régime : Royaume de France XVIe — XVIIIe siècle, Paris, Quadrige/PUF, 1996, p. 1122-1124.
  5. Il arrive cependant, surtout pendant les premières décennies de son utilisation, que les officiers indiquent « pour plusieurs villes de la République » ou « pour l’ensemble du Royaume », laissant une certaine liberté à leur porteur

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